par Bernard Thomasset, sm
3ème dimanche de carème 2023
Jn 4,5-42
La rencontre au puits de Jacob est l’une des plus bouleversantes de l’évangile par l’épaisseur humaine des personnes en présence, la vérité et la profondeur spirituelle des paroles échangées, par sa puissance symbolique qui nous révèle ce qu’il y a au cœur de Dieu et ce que Dieu est capable de faire dans un cœur d’homme. Il y est question de lassitude et de blessures inavouées, de demande et de don, de soif et d’eau vive, de dignité retrouvée et de joie contagieuse… Une admirable parabole en réalité de la rencontre que chacun peut faire, dans le secret du cœur et son histoire la plus personnelle, du Dieu vivant. Car c’est de chacun de nous qu’il est aussi ici question et de ce que Dieu nous propose pour peu que nous acceptions la rencontre.
Jésus engage donc la conversation avec une Samaritaine. La rencontre est proprement scandaleuse si on se souvient de l’hostilité historique entre Juifs et Samaritains. Cette femme avait en effet tout contre elle : la marginalité méprisée de son peuple considéré comme hérétique parce qu’il ne reconnaissait par le temple de Jérusalem et priait sur le mont Garizim, l’impureté de sa condition de femme, sans compter ici l’immoralité de sa vie avec ses cinq maris et le sixième… Mais on perçoit aussi, dans ses réparties, une femme blessée dans son cœur et profondément seule dans son échec à aimer… qui a soif de vivre, de croire, d’aimer… et ce mordant, ce tempérament questionneur, de défi qui ne s‘en laisse pas conter… un tas de blessures, de questions au fond d’elle… une soif inassouvie…
Voici donc que Jésus accepte la rencontre sans crainte, avec cette aisance toute simple et cette liberté qui n’appartient qu’à lui. Avec la Samaritaine, nous découvrons que ce n’est pas nous qui allons à Dieu, mais lui qui vient à nous. Il ne nous rencontre pas ailleurs que là où nous vivons, à nos puits quotidiens, dans nos cuisines, nos bureaux, nos écoles, nos chantiers… alors que nous sommes las et que rien ne nous porte vers lui… alors même que nous nous savons indignes, mal croyants, blessés, exclus peut-être. Pour Dieu, il n’y a pas d’exclus, pas de maudits, pas d’impardonnables. Dieu se propose à chacun d’où qu’il vienne pourvu qu’on le cherche.
C’est alors que s’engage un surprenant dialogue aux méandres multiples dans lequel la Samaritaine va peu à peu reconnaître en cet homme qui demandait à boire un visage mystérieux, celui du Messie que secrètement elle attendait. Voilà Jésus fatigué qui a soif lui aussi et est en demande, soif d’eau bien sûr, mais plus encore soif de la vie de cette femme, de sa dignité, de lui révéler sa soif à elle… soif de lui révéler qu’elle est malgré tout aimée de Dieu… soif aussi d’être reconnu comme celui qui peut faire jaillir en elle l’eau vive qui dort… Alors il entre en conversation de cœur à cœur, avec délicatesse et vérité. il l’entraîne, plus loin que ses dérobades et ses défis, à reconnaître sa soif de vie, de vérité, de dignité, de foi venant du plus profond d’elle-même. C’est cela qu’elle perçoit en Jésus : sa soif et une manière d’aimer qui éveille en elle la vie. Et son regard sur elle, loin de l’accuser, dit une espérance et libère en elle la vie à nouveau possible. Le voilà le prophète, le Messie ! Bouleversée, émerveillée, il lui faut aller le dire aux autres : voilà ce qu’a fait pour moi cet homme !
C’est bien toute cette histoire de vie rendue qui nous est offerte dans notre dialogue intérieur avec le Christ si nous acceptons de nous y livrer. Alors nous comprendrons d’expérience ce que veut dire cette parole pleine de promesse de Jésus : « Si tu savais le don de Dieu » ! Quelle est-elle donc cette eau vive que lui seul peut nous donner ? La puissance créatrice de Dieu au cœur de chaque homme, le regard aimant du Christ sur l’être blessé que nous sommes, qui redonne confiance et ouvre l’avenir, l’Esprit même de Dieu – l’amour vivant – qui jaillit au cœur de l’homme, l’irrigue et libère des torrents de vie et d’amour profondément enfouis. Il nous dit encore, Jésus, que le lieu sacré de la rencontre, ce n’est pas le temple de Jérusalem, ni nos églises de pierre. Le vrai temple, c’est le cœur de l’homme qui se fait désir, attente, adoration pour cet Autre qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent et espère.
Voilà. C’est cette rencontre qui nous est offerte. Entrons-y résolument avec nos souffrances intimes, nos pauvretés, nos espérances, nos questions. Mais laissons-nous conduire. Nous découvrirons Dieu lui-même qui rejoint l’homme, la femme que nous sommes, avec nos blessures, notre péché, notre soif… Dieu qui nous donnera l’eau vive tant désirée, son Amour en source inépuisable qui recrée, irrigue et restaure la confiance perdue… Puisse alors cette vie reçue, comme chez la Samaritaine, jaillir à travers nous pour beaucoup d’autres.
Bernard Thomasset, sm
3ème dimanche de carème 2023
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