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CE CORPS QUI « PENSE »

Dernière mise à jour : 12 mars 2021

Un extrait des premières pages du livre d'Alexis Jenni "Les vertus de l'imperfection" dans lequel l'imperfection est décrite comme le lieu de notre richesse intérieure et relationnelle.


« Notre corps nous parle en permanence une langue étrangère dont nous ignorons tout mais que nous comprenons très bien.

Nous ? Qui est ce nous qui dit avoir un corps ?

Sans doute c’est ce corps lui-même qui essaie de savoir quelque chose de lui-même et qui, pour cela, se prend pour un autre, un autre qui croirait être « l’esprit » et qui aurait un peu de distance, un peu de surplomb et beaucoup de langage.

Comment notre corps ne pourrait-il être qu’une enveloppe de chair autour de notre esprit ? […]

Nous, ce nous que j’emploie est notre être tout entier : nous sommes cette chair, cette chair qui sent, qui se meut, qui s’émeut et qui pense, cette chair qui croit tout savoir par vision claire, qui parle d’abondance et qui se reconnaît si peu elle-même.

Notre corps nous parle en permanence mais le plus souvent nous n’y entendons rien par surdité, distraction, paresse ou ignorance de l’idiome qu’il emploie : le corps de chair s’exprime en un langage liquide qui nous baigne et n’est pas facile à déchiffrer.

Que veux-je dire ? Que le corps qui est nous est plus vaste que l’esprit et qu’il lui parle confusément ; et l’esprit, bravache, est une fonction un peu particulière du corps, que le corps est une vaste antenne qui rassemble plus de sensations que ne peut en traiter l’esprit ; et c’est le corps tout entier, souvent, le plus souvent, heureusement qui décide à sa place.

Quand l’esprit reste coi et que nous croyons ne pas savoir, quand la raison échoue à sortir des boucles sans issue qu’elle produit à foison, quand le langage a épuisé ses quelques mots, ses pauvres tournures, ces phrases attendues, nous avons encore cette ressource qui est la masse de chair muette que nous appelons notre corps, ce que nous appelons, vu du dedans notre for intérieur ; et celui-ci, étrangement, est tout entier dirigé vers le dehors. Le for intérieur est plongé dans le monde, il vit, entend, comprend et il répond par des clapotis, des vagues et des tourbillons, des parfums et des goûts, des postures et des gestes. Sentez-vous ce que sent le corps ? Sentez. Il dit toujours le vrai au sens où la réalité est toujours vraie, mais il le dit dans une langue étrangère ».


Extrait de "Les vertus de l'imperfection" Alexis Jenni, Bayard sept 2018

Photo: Vase (im)parfait? jys

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